Après m’être ravitaillé à Sabaya, il est temps de quitter le village et de partir à l’assaut de la partie la plus inoubliable de la Bolivie, si ce n’est du voyage entier ! L’idée de pédaler sur le sel des salars et les pistes sableuses, caillouteuses du Sud Lipez fascine plus d’un cyclo-touriste d’Amérique du Sud. Un très agréable cocktail d’excitation, d’attente et d’appréhension.
En quittant la route et m’engageant sur une piste légèrement sableuse, je sais d’après quelques lectures de blogs que je ne reverrai de l’asphalte que dans une bonne dizaine de jours.
Le sable est dur, les roues ne s’enfoncent pas. En revanche, le sol forme des mini vagues : La fameuse tôle ondulée, celle dont on parle dans de nombreux blogs de cyclo-touristes, celle que je devrai subir, parait-il, durant une grande partie des deux prochaines semaines…
Je me dirige actuellement vers le premier salar, le désert de Coipasa, le petit frère du géant Uyuni. L’occasion de faire la rencontre de quelques lamas. J’arrive assez rapidement dans le village de Villa Vitalina qui marque l’entrée des salars. Un véritable village fantôme, comme déserté subitement suite à une catastrophe, pas d’âme qui vive !
Je décide de suivre une piste tracée par des 4×4 sur le sel qui semble mener au village de Coipasa. Mais les pistes se dédoublent rapidement puisque les guides d’excursions doivent connaitre l’état du salar et rouler au feeling sans se soucier de créer une route commune. Les marques sont de moins en moins visibles, celle que j’essaie de suivre semble en fait mener plein Est et non vers Coipasa. Je décide alors de prendre la direction de Coipasa en suivant la direction du volcan Villa Pucarani qui culmine à près de 5000m d’altitude. Dès les premiers mètres hors piste, petite frayeur : le sel est humide. Au passage des roues, le sel s’écrase laissant place à environ 5 cm d’eau voire de boue. Est-il bien possible de traverser directement ou bien c’est tout l’intérêt des pistes tassées par le passage des 4×4. Finalement, le problème disparait rapidement et il ne reste plus qu’à avaler les 10 km me séparant de la « terre ferme ». Le bruit du craquement des roues sur le sel est assez agréable. Les impressions de distance sont déroutantes. La « côte » paraît si proche, mais il y a pourtant 10 km qui me séparent de cet unique point de repère. Au bout d’une quarantaine de minutes, j’atteins alors le village de Coipasa. Faisant confiance aux informations que j’ai pu recueillir, je me mets à la recherche de l’épicerie du village. Fermée. La propriétaire ne tarde pas à arriver. Autant dire qu’il n’y a pas l’embarras du choix, mais il y a le nécessaire : conserves classiques même des barres de chocolat (il faut bien l’avouer, ça fait toujours du bien au moral). La gérante me permet de planter ma tente dans sa cour à l’abri du vent, elle s’inquiète pour moi car selon elle, il fait très froid la nuit !! Je lui assure avoir ce qu’il faut pour avoir « chaud ».
Le lendemain, je me lance à l’assaut du salar de Coipasa. L’objectif est de rejoindre le village de Llica qui se situe entre le salar de Coipasa et le salar d’Uyuni. Pour cela, il est conseillé de rejoindre le village de Très Cruces afin d’éviter la partie Ouest du salar qui peut être boueuse. Le programme de la journée est de 45km en ligne droite. Ce salar est moins connu que son grand frère, Uyuni, mais il est assez impressionnant. Le parallèle avec la navigation en mer est saisissant : une sensation d’évoluer sur une mer blanche, avec pour objectif de rejoindre la terre ferme tout en naviguant entre des petits ilots rocheux.
Je prend alors un peu mon temps pour profiter de cette belle entendue de sel, un peu trop, j’atteins en effet la terre ferme vers 15h. Depuis le village de Très Cruces jusque Llica, il n’y a que 38km. Seulement voilà, je me rends compte assez rapidement de la texture de l’itinéraire. C’est du sable (du sable très sableux…) !! Il faut souvent pousser. Quoiqu’il en soit, après une poignée de km engloutis, une estimation simple m’indique que la trentaine de km restants ne sera pas expédiée en 2 heures. La nuit commence alors à tomber vers 18h mais je m’impose de continuer jusqu’au village de Llica que j’atteins alors après 20h. Très fatigué et très soulagé, je décide de loger dans une chambre d’hôtes (Residencial Sillajuay). Le lendemain matin, je pars me préparer assez tôt notamment pour m’assurer de manquer de rien (eau, nourriture voire outillage) avant la grande traversée d’Uyuni.
Je me lance enfin sur la route du salar d’Uyuni. Connu pour être le plus grand désert de sel du monde, il s’agit d’un moment assez attendu du voyage. La sortie du village s’effectue sur une piste de sable dur mais en tôle ondulée. L’entrée du salar est marquée par un poste militaire probablement destiné à contrôler l’accès en voiture. Le militaire en poste ne me demande rien, mais m’adresse un pouce en l’air d’encouragement, l’excitation monte progressivement. La piste sableuse fait alors progressivement place à du sel. Une gigantesque étendue de sel s’étend alors, bordée de chaque côté par des montagnes. En face, en revanche, rien à l’horizon !!

Petite hésitation avant de se lancer…
L’objectif est de rejoindre l’ile Incahuasi où je pourrai me réapprovisionner en eau. Cet objectif se situe, pas moins de 80km vers le Sud-Est. Il est déjà 13h, cet objectif est donc légèrement compromis avant la nuit. Bien que la portion Nord du salar ne soit que très peu visitée par les tours organisés, on perçoit les deux bandes d’une piste tracée par des 4×4. Je décide de m’en éloigner afin d’éviter d’éventuels bolides pressés. Avaler les kilomètres en ligne droite sur du sel pourrait paraître monotone mais impossible de ne pas vivre pleinement l’instant devant la magie d’un tel endroit et l’unicité du moment dans une vie.
Avant la tombée de la nuit, je m’arrête pour planter ma tente. Et là, un sentiment assez rare chez les amateurs de camping sauvage, celui de décider de s’arrêter à un moment sans aucune préférence tant sur le lieu de camping que sur l’instant (Habituellement, on peut être motivé par un endroit sympa, un terrain plat à l’abri du vent, des regards ou bien le haut ou le pied d’un col etc, mais là rien de tout ça : si on veut s’arrêter, on s’arrête et on plante la tente, bref difficile à expliquer ^^).
Après un petit diner, j’observe le soleil se coucher derrière les montagnes basses. La température est en chute libre. Un peu de marche pour se réchauffer. L’occasion de se demander combien de personnes ont déjà posé les pieds exactement au même endroit… Devant toutes les possibilités de trajet possible sur ce salar, peut-être personne…
Après cet instant philosophique vite improvisé, il est temps d’aller se réchauffer dans un bon duvet. L’occasion d’encore faire fonctionner le peu de matière grise qu’il peut rester à cette altitude : L’île Incahuasi est d’après le GPS maintenant à environ 40km, mais à quelle distance va t-on commencer à l’apercevoir avec la courbure de la Terre ? J’essaie d’obtenir une réponse avec mes restes scolaires de Pythagore (pour une fois que ça sert !) Il semblerait qu’on puisse apercevoir une île de 50m de haut à environ 30km. Je devrai donc commencer à apercevoir Incahuasi au mieux dans environ 10km.

Tentative de calcul de l’horizon
Le lendemain, le résultat ne se fait pas attendre : avec la pleine lumière du petit matin j’aperçois déjà un léger point en direction de l’île 🙂
Trois options :
- Pythagore avait tort (pas sûr…)
- Je me suis planté (tout simplement)
- La Terre est plate en fait (on nous aurait donc menti…)
Terre plate, ronde, ellipsoïde ou même pyramidale, on s’en fiche pas mal puisque il faut rejoindre assez rapidement l’île pour le ravitaillement en eau. Après un rapide petit déj, et un « rempaquetage » beaucoup plus long (!), je me lance de nouveau sur cette grande étendue salée, cap sur Incahuasi.
L’île se dessine de plus en plus. Elle semble flotter au dessus de l’horizon, c’est bien ce léger effet de mirage froid qui doit expliquer l’éloignement de la limite d’horizon (fin du débat !! désolé pour les platistes ^^)
Arrivé sur l’île, je ne peux contenir une certaine déception à la vue de la trentaine de 4×4 présents (et donc la centaine de touristes). On perd un peu la magie d’avoir rejoint une île perdue dans une immensité salée. Mais c’est un peu hypocrite de ma part puisque ce développement touristique permet un accès à de l’eau potable. A peine descendu du vélo, un bolivien s’approche avec un gros livre qu’il me tend aussitôt avec un sourire, me demandant d’écrire un petit mot. Il m’explique alors que depuis quelques années, il recueille un petit témoignage de la part de tout cyclo-voyageur traversant le salar : Un livre d’or pour les voyageurs à vélo 🙂 Une petite satisfaction est alors inévitable devant les regards curieux de mes homologues occidentaux (sans rancune hein :P)
Une fois mes gourdes remplies, je décide de quitter l’île pour rejoindre la terre ferme avant la nuit. Mais à peine parti, mon pneu arrière crève (sans vraie raison). Je m’empresse de sortir une chambre à air « de rechange » (c-a-d celle présentant le moins de rustines parmi celles que j’ai auparavant réparées…). Cette réparation un peu longue (pneu très difficile à enlever) m’a beaucoup retardé et le soleil est déjà bien bas, ce qui me contraint alors à envisager une nouvelle nuit sur le salar (ce qui ne me déplaît pas).
La nuit tombée, je m’octroie un assez long moment malgré le froid pour observer les étoiles d’un des cieux les plus purs au monde (« Pourquoi payer une fortune un 5 étoiles quand on peut dormir gratuitement sous des milliards ? »). Dans le noir, je marche un peu mais à proximité de la tente. Je n’ose imaginer le scénario catastrophe vite arrivé : s’aventurer quelques mètres sans lampe, et perdre ses repères sur ce plateau de sel parfaitement uniforme, plat, sans vent et sans lune. Une trentaine de mètres devraient suffire pour être incapable de revenir parfaitement en arrière, réajuster dans la mauvaise direction, paniquer et définitivement se perdre dans la nuit glaciale à quelques pas d’une tente invisible.
Une fois le duvet gagné, le sommeil est de courte durée : je me fais réveiller brusquement par une énorme masse qui tombe sur ma tente. Un peu paniqué car l’endroit est en principe absolument désert, je réalise alors qu’il s’agit du vélo qui vient de s’écraser sur la toile de tente. En fait, une crevaison lente (le fameux pneu arrière) a progressivement déséquilibré le vélo maintenu debout par la béquille jusqu’à le faire tomber lourdement. Dégageant la toile qui a heureusement tenu le coup, je retourne dormir avec l’esprit moins tranquille car il y a nécessairement un problème avec la roue arrière. (SPOIL : C’est le début d’un mini enfer psychologique de 2-3 jours…)
Après une réparation matinale, je me lance sur les 30 derniers kilomètres de sel, je commence à bien comprendre le principe d’un salar : blanc en bas, bleu en haut 😉
La fin du sel s’approche, je rejoins la sortie du salar pour me diriger vers le village de Cocha K. Le sel se transforme peu à peu en sable. Je franchis alors un poste barrière à coté duquel il y a une petite épicerie et de quoi se ravitailler en eau. Un dernier coup d’oeil en arrière pour dire adieu à ce beau salar et je m’engage sur une jolie piste. Mais de nouveau sans prévenir, le pneu arrière crève, me contraignant de nouveau à réparer la chambre à air. Une fois reparti, le diagnostic est sans appel : crevaison lente ! Il faut regonfler le pneu toutes les 5 à 10 minutes. Je décide de continuer ainsi jusqu’au prochain village San Juan mais c’est de pire en pire, jusqu’au moment où il faut reconnaitre que le pneu est véritablement crevé. Epuisé moralement, je décide de m’arrêter pour la nuit tout près de la piste. Les réparations sont faites aussitôt, pour voir si les rustines tiennent la nuit.
Le lendemain matin, le pneu a résisté : un véritable sentiment de joie et de soulagement (c’est dire l’état des nerfs…). Je fais un petit détour par le petit village de Villa Candelaria dans l’espoir qu’il y aura de quoi mieux consolider et protéger mes chambres à air. Il n’y a absolument rien !! et pire encore, le pneu semble être déjà moins gonflé. Peut-être de la paranoïa ! Non, ça n’en est pas… Je ne peux pas continuer avec ce problème. Le village semble désert mais je trouve refuge dans une famille qui accepte de m’héberger. Au début un peu méfiants, c’est finalement le plus âgé de la famille qui comprend que j’ai un problème mécanique et accepte de m’accueillir. Il s’agit d’une famille regroupant trois générations. Ils me proposent gentiment leur garage vide et un matelas. Je réalise alors qu’il s’agit des boulangers du petit hameau, je leur achète alors plusieurs petits pains. Il m’offrent de l’eau chaude pour cuisiner et du fanta. Le grand-père souhaite m’aider à réparer mes chambres à air. Je dois avouer que sa bassine d’eau est d’une grande utilité pour détecter les minis trous. Mes trois chambres à air « de secours » qui comportent maintenant pas moins de quatre rustines chacune commencent sérieusement à faire de la peine. Le lendemain, je pars enfin prêt. Mais faux départ, après 200m, le pneu arrière ne résiste pas. Je reviens dans la petite famille pour de nouveau réparer. Ils paraissent sincèrement désolés pour moi. Je commence à sérieusement perdre espoir, je ne sais plus quoi faire. Avec le doyen de la famille toujours aussi motivé, on identifie alors le problème. Les pneus étant très durs à enlever, en forçant avec les demonte pneu, des échardes de métal étaient apparues sur la jante : impitoyable ! On décide de la poncer et d’y appliquer du scotch. Je suis alors très optimiste sur cette nouvelle réparation. Cette fois-ci c’est la bonne. Avant de repartir, en remerciant la famille, je demande une chose assez curieuse. J’avais été assez convaincu de la manière dont le grand-père retirait mon pneu avec… une cuillère ! Mes démonte-pneus étant cassés, je leur demande alors si je peux leur en acheter une. Devant l’envie de m’en faire cadeau, j’insiste pour 20 bolivianos, une manière un peu déguisée de les remercier financièrement de m’avoir logé dans un endroit abrité. Je range fièrement ma cuillère sous le regard amusé de la famille. Ils me souhaitent bonne route et surtout bonne chance (à mon pneu!).
Je pars en direction de San Juan. Après une ligne droite assez venteuse sur une piste de ripio, j’atteins enfin le village de San Juan. Une bonne nuit au chaud s’impose. La propriétaire d’une auberge de sel me propose une place à très bon prix.
Au matin, je profite du dernier ravitaillement possible : San Juan est le dernier village avant le Chili (donc une dizaine de jours). J’entame alors la deuxième partie de ce périple bolivien tout aussi attendu !